La politique est un objet de préoccupation sur les chaînes câblées essentiellement. Sujet sérieux par excellence -hormis lorsqu'elle tombe dans la satyre comme Spin City ou plus récemment Veep - le format série n'est pas privilégié pour l'aborder. Toutefois depuis la fin des années quatre-vingt dix et grâce notamment à The West Wing, la série se politise, voire se transforme en vecteur contestataire - les créations de David Simon en sont les meilleures exemples : Treme s'attaque au gouvernement Bush, The Wire à la corruption à Baltimore et Generation Kill à la guerre en Irak. David Simon effectue toujours une étude from below, c'est à dire une analyse qui s'effectue par le bas, par ceux qui subissent les conséquences d'une dérive politique : flics, soldats, dealers, clochards, musiciens ou bien avocats sont les angles d'attaque des études sociétales de David Simon -méthode qui dans Treme atteint clairement son apogée en fricotant avec le talent des grandes fresques sociales de Zola.
D'autres moyens sont utilisés au sein des séries pour parler de la politique, comme l'information par exemple. Aussi ridicule et peu crédible que peut l'être l'image renvoyée par The Newsroom du monde journalistique, l'objectif a peine voilé d'Aaron Sorkin - créateur et showrunner de la série, à travers le traitement de l'information est la dénonciation politique : Tea Party, explosion de la plateforme off-shore au large de la Nouvelle Orleans, homophobie républicaine ou encore big brotherisation de la société, tout y passe, rien n'est épargné. Ce procédé possède les inconvénients de ses avantages : à vouloir faire franc et direct, le message perd en subtilité et réalisme, devenant une information choc et prémachée par les obsessions d'un auteur - ironique lorsque l'on sait que les intentions d'Aaron Sorkin avec The Newsroom reposent sur la volonté de dénoncer la désinformation progressive des médias ainsi que leur manque d'objectivité.
Enfin, il y a des séries comme Profit, The West Wing ou évidemment Boss, la plus grande réussite des nouveautés de l'année dernière, qui se focalisent sur les coulisses du pouvoir. C’est Boss qui nous intéresse particulièrement ici, vous l’aurez compris : nous voulons vous montrer qu’elle est différente, brillante au sein des séries brillantes. Le pouvoir, ses dérives, affres et conséquences, s’y font objets d'étude aux cotés de la politique : le sujet est alors envisagé de front, l'analyse et l'objectivité pouvant en souffrir au passage. Cet axe d'étude du politique impose ainsi dans de nombreux cas l’émergence d'un personnage phare, véritable figure de proue de la série et tenant majoritairement le rôle de leader ou celui de chef.
Le personnage du chef politique ne fonctionne jamais seul, il est duel. Sur tous les pans de sa vie, public et privé, il existe un autre personnage qui lui fait écho, un autre personnage qui le complète ou le concurrence.
Les seconds
Ainsi, le rôle du second est
fondamental à toute série focalisée sur les coulisses du pouvoir. Ce dernier
peut prendre la forme d’un conseiller comme Ezra Stone dans Boss, d’un homme de main ou d’un
directeur de campagne, Eli Gold dans The
Good Wife, par exemple. Incarnant tantôt la discrétion, tantôt le charisme
débordant, ils sont à la fois garants du pouvoir, celui qui dépasse l’homme qu’ils
secondent, et protecteur de l’homme auprès duquel ils ont prêté allégeance.
Souvent cette ambivalence aboutit au sacrifice au nom de l'une des deux causes :
ainsi Thomas More dans The Tudors
préfère mourir au nom de sa conception du pouvoir en lieu et place de rester en
vie en se pliant aux décisions de son roi Henri VIII. A contrario Eli Gold dans The Good Wife n’est loyal qu’envers
Peter Florrick, il est prêt à toutes les manipulations et négociations, même
auprès de la femme de son candidat, pour lui apporter le poste de gouverneur. Boss quant à elle fait dans l’intense
et le sexy par le biais du personnage d’Ezra Stone, voire à moindre échelle
celui de Kitty. Cette dernière incarne le second qui trahit au nom de l’opportunisme,
celui qui fait défection au chef pour rejoindre la concurrence guidée notamment
par la chair et les sentiments. Ezra quant à lui, sublime le rôle du second :
il oscille au sein de la dichotomie pouvoir-chef. Il est à la fois fervent
défenseur de son chef, Tom Kane, mais n’hésite pas effectuer tous les sacrifices nécessaires pour
la préservation du pouvoir. En réalité, Ezra Stone incarne la clef d’interprétation
du message de la créatrice sur Chicago : la puissance en cette ville ne s’incarne
qu’en un homme, il use et incarne le pouvoir en soi. Servir le pouvoir, c’est
servir l’homme et non l’inverse. Cette dénonciation à peine dissimulée de la
tendance mafieuse du gouvernent municipal de Chicago représente le cœur de la
dénonciation politique voulue par la créatrice Fahrad Safina.
(ci-dessous le discours de fin de Ezra Stone qui révèle toute l’ambiguïté de son rôle)
Le concurrent

Cette élaboration d'un réseau est évidement nécessaire pour satisfaire le besoin de contrôle du personnage tenant le pouvoir mais se révèle aussi un très bon moyen pour lutter contre la conccurence. Souvent le traitement du concurrent politique manque de relief, comme cela peut l'être dans The Good Wife où l'utilité de Glenn Childs en tant qu'opposant à Peter Florrick s'apparente plus à du superfétatoire que du fondamental. Là où la plupart du temps les séries politiques utilisent le personnage du concurrent comme un faire valoir ou une simple épine dans le pied du personnage principal, Boss se distingue. Ben Zajac n'est pas seulement qu'un obstacle sur la route dévorante du pouvoir de Kane, il se révèle à la fois élu et disciple de ce dernier, outsider, jeune requin guidé par le pouvoir tout en se révélant dans les derniers épisodes comme un être dénué d'ambition traîné en réalité par sa femme sur le devant de la scène. La série a su par l'intermédiaire du personnage de Zajac se séparer du manichéisme habituel des série politiques où le concurrent n’apparaît que comme l'être à abattre face à un pouvoir tenu par un homme qui se doit d'être préservé.
Le conjoint

Quelques soient les séries sur les coulisses du pouvoir, le personnage principal possède un conjoint : Abbey Bartlet dans The West Wing, Bud Hammond dans Political Animals et bien évidemment, Meredith Kane dans Boss. Le rôle du conjoint, qui s’avère majoritairement
une femme excepté dans Commander in
Chief, soit permet la pénétration dans la sphère de l’intime du chef, écarté
le plus possible du monde politique, soit prend part partiellement ou
totalement à la fonction de son époux. Le
rôle le plus éculé est celui de la femme sourire, celle qui présente bien en
toutes circonstances et qui sait prendre les coups des médias, les frasques de son
mari et qui ne perd le masque de la femme parfaite qu’en de rares occasions. L’exemple
de The Good Wife est évidemment la
référence qui saute en premier lieu à l’esprit, Julianna Margulies incarne
parfaitement la femme bafouée qui lutte pour son mariage même si la série sur
le long de ses trois saisons a su développer habilement son personnage et la façonner toute en nuance. Meredith Kane dans Boss,
la femme du maire, embrasse toutes les facettes de la « femme de ».
Sourire de façade, prestation aux diners de charité et politique alors que le
mariage n’est plus intime depuis des années et que les deux épousés ne se
supportent plus. Toutefois, elle est plus que cela, elle se révèle aussi
machiavélique, manipulatrice et assoiffée de pouvoir que son mari. Bien plus qu’une
compagne et un visage, elle assure l’aspect culturel, la communication et les
mondanités de la mairie de Chicago et ce avec des méthodes similaires mais
totalement différentes dans la forme. Ainsi, si Tom Kane est le feu, Meredith
serait la glace ; lors du pilot de la série deux scènes résonnent ensemble,
celle où Tom Kane hurle sur le chef des ouvriers et celle où sa femme annonce
avec froid, calme et puissance au directeur d’une école qu'il doit rectifier ses erreurs : les attentions sont
similaires, les méthodes aussi, la manière diffère. En soi le conjoint de Boss représente bien plus que ceux d’autres
séries, s’avérant à la fois un personnage à part entière mais surtout la moitié
d’un binôme qui sans l’un ou l’autre péricliterait : les Kane assument
tous deux les sacrifices qu’ils ont effectués et le feront encore et encore.
La dualité, thème récurrent dans Boss et d’autres séries politiques, se
sublime dans la série car elle est omniprésente et plurielle : le
personnage de Kane se trouve confronté à plusieurs figures fortes qui tout en s’opposant
à lui, le complètent et renforcent encore plus sa puissance et sa fureur.
Le cas Homeland vs Boss