Ce qui nous pousse à être, ce qui sous tend nos réactions, ce qui nous affecte, la cause de nos actions. Le conatus, dans sa dimension spinoziste, a parcouru l'ensemble de la série Southland : au delà de scander les silences et les cris de sa ville, Los Angeles, la série a toujours porté une attention particulière à ses personnages. Comment la ville et ses réalités quotidiennes bouleversent et révolutionnent, ses acteurs, ses gardiens de la cohérence que sont les membres de la L.A.P.D (police de Los Angeles) ? Les trois dernières saisons étaient concentrées sur cet écho qui résonnait en chacun de ses soldats du quotidien urbain : la ville était un personnage à part entière, un démurge de l’âme des hommes et femmes qui la parcourent, Los Angeles possédait un pouvoir de vie et de mort sur ses habitants. La dernière saison de Southland cesse de subsumer le flic dans la ville et l'individu dans la brigade, elle met sur le devant ses personnages et les confronte à leur Némésis.
De la Fresque urbaine à l'instant de vie
Cela fait maintenant quatre saisons que sévit Southland sur les écrans américains, quatre saisons durant lesquelles Ann Biderman nous dépeint la brutalité et l'humanité des rues de Los Angeles. Ce personnage bien réel qu'est la ville de Los Angeles a toujours été dépeint avec une réalité violente et bouleversante, ne laissant jamais indemnes ses occupants. Le détective Nate Moretta en est l'exemple le plus criant. L'omniprésence de la ville et ses répercussions directes sur le personnage, cette manière qu'elle a de grignoter le capital moral et la santé des protagonistes de ses rues fait place aux conséquences de ses répercussions. Dans la dernière saison la ville a déjà effectué son travail, les détectives et les uniformes en ont déjà payé le prix, leurs vies ont déjà été chamboulées et leurs personnalités profondément révolutionnées, il ne reste plus qu'à observer les conséquences sur leur moi profond. La ville s’efface peu à peu pour laisser s'exprimer les moi qu'elle a altérés, toutefois elle apparaît à travers des instants de vie. Chaque épisode de Southland possède ces moments où la ville ne peut s'empêcher de surgir. Ces réminiscences des saisons passées possèdent le même impact qu'auparavant : l'officier de la loi fait un choix qu'il doit assumer, la ville lui impose une épreuve et il se fait juge. Ainsi dans l'épisode Community, Cooper et Jessica Tang ont le choix de laisser un homme en frapper un autre pour se venger, ou incarcérer celui qui a porté le coup ; ils choisissent la violence de l'instant, ils choisissent de laisser la loi de la rue s'exprimer. La ville est bien présente mais son impact sur les protagonistes est moindre. D'ailleurs les dialogues des personnages se réorientent, moins concentrés sur "comment cette ville vous bouffe", ils s'orientent sur "comment le passé vous tue et l'avenir vous préoccupe". La ville est comme tout bon démurge, elle a crée son univers et se contente de le maintenir à flots en le laissant évoluer selon les règles qu'elle a préétabli.
Tang a jamais lié à Los Angeles |
"Officer Ben Sherman is just trying to do the job without losing his soul"
L'âme. La seule et unique obsession des flics de Southland : comment ne pas perdre son âme. Que cela soit par une balle en pleine tête ou par la pression quotidienne qui pousse à la folie, cette appréhension est bien réelle. Préserver sa santé mentale, sa lucidité, est le vrai enjeu de cette dernière saison. Enjeu sous-tendu par la mise en opposition des personnages, chaque protagoniste se voit confronté à sa némésis.
L'avenir : Lydia Adams - Ruben Robinson
Le turning point du detective Adams |
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Le pardon : Jessica Tang - John Cooper
L'arrivée du personnage de Jessica Tang (incarnée par la lumineuse Lucy Liu qu'il est bon de revoir régulièrement sur nos lucarnes) parquée avec John Cooper installe une situation inédite : Cooper se trouve à la place de l'évalué, celui qui doit faire ses preuves. La paire est surnommée "The Walking Dead", en référence aux traumatismes violents qui ont failli les mettre hors circuit. Tang a été propulsée et pulvérisée par un homme géant, le tout étant évidemment filmé, Cooper quant à lui, lors de la dernière saison, a été dénoncé par son élève Ben Sherman, pour abus de drogue et l'impossibilité d'utiliser son dos correctement.
Le poids du choix est a jamais lié à Cooper |
Tang, à sa façon, effectue le même trajet, elle assume un choix pour s'enfuir de la rue. Tang et Cooper sont les faces d'une même pièce, leur seule différence se situe sur leur relation avec la rue et la ville : Tang réussit à s'en libérer au prix de son âme, Cooper n'arrive pas à la vendre au diable qu'est Los Angeles. Un véritable pacte faustien est scellé entre la ville et les officiers, personne n'en sort indemne, pour la quitter il faut sacrifier une certaine santé d'esprit, voire un bout de sa conscience mais quoiqu'il arrive vous y êtes lié à jamais. L'épisode Thursday qui narre le dernier jour de Tang sur le terrain illustre parfaitement cette relation fusionnelle et potestative entre le flic et sa ville, il est sujet aux aléas du quotidien urbain tout en en étant parfois maître. L'exemple le plus flagrant et caustique de cette relation dans cet épisode est certainement lorsque Tang décide de faire danser un lambda sur du Minaj en l'échange d'une contravention.
Tang résume parfaitement cette relation de dépendance malsaine : " 13 years patrolling. I might just miss this freak show".
L’échec : Ben Sherman - Sammy Bryant
Relation tout autant passionnante que celle de Tang et Cooper, celle de Ben Sherman et Sammy Bryant. Bryant fraichement revenu à l'uniforme, souhaite former les nouveaux afin qu'ils ne reproduisent pas les même erreurs que lui : sombrer dans une vendetta qui ne mène qu'à une chose, la folie. Ben Sherman revient d'un partenariat houleux avec Cooper au cours duquel il a été obligé de prendre la décision de dénoncer son partenaire. Bryant a vécu l'hybris, Sherman en dénonçant son référent et son gardien de conscience, a fait un pas sur la route du pouvoir : le moment où l'élève dépasse le maître est toujours un instant décisif, soit l'apprenant sombre dans la démesure soit il en tire sagesse et force. Bryant souhaite à la fois être le garde fou de Sherman et panser ses propres blessures et erreurs : il est en route vers le chemin du pardon. Tout au long de la saison Sherman sombre dans la démesure : filmé en train de gifler une jeune étudiante, la vidéo se retrouve sur internet, il devient alors un aimant à jeune femme. Cette foule de femmes le désirant se mêle à un aveuglement professionnel : pris d'affection pour une prostituée mineure, il fait tout pour la sauver, allant jusqu’à intervenir en dehors de l'uniforme. Tout au long de la saison, Bryant tente de le tirer vers le chemin de la prudence et de la raison mais en vain. Le dénouement de cette histoire ne fait qu’entériner la chute de l'officier Ben Sherman : il tue sous l'uniforme celui qu'il pourchasse, le mac et père de la prostituée qu'il a décidé de sauver. Cet acte scelle le passage à l'hybris, Sherman devient démurge, il se croit tout puissant : il a sauvé la demoiselle en détresse et annihilé la vilenie et ce sans aucune conséquence. En soi, dans l'épisode final de la saison, Thursday, Sherman écrit sa propre épitaphe lorsqu'il déclare : "Sooner or later, the streets are gonna eat you". Bryant malgré sa lutte incessante pour l'âme de Ben, échoue il le déclare lui même : "I feel like I let you [Sherman] down". Alors que Cooper a réussi à vaincre son hybris, Bryant le contemple au loin, inaccessible et sans possibilité de le maîtriser. Ainsi, la scène finale de la piscine incarne cette distance, ce fossé indescriptible qui s'est creusé entre les deux personnages :
L'échec est double ici : celui de Bryant qui en ne sauvant pas l'ame de Sherman n'arrive pas à se pardonner, et celui de Sherman qui ivre de pouvoir ne perçoit pas qu'il est devenu l'anti-thèse de bon flic, il a vendu son âme à l'enfer qu'est LA. La ville a vaincu.
L'évolution des regards de Sherman est fascinante : du trouble à la sérénité |
N. aka Gene Parmesan |
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