dimanche 29 juillet 2012

Dans l'oeil du chat - Déjouer les jeux : les acteurs au coeur des séries




Par Eva Sautel 

« J’ai vu Perceval sur un plateau télé », « Don Draper est l’homme le plus sexy du monde »… Depuis nos petits fantasmes jusqu’à la folie de certains fans, qui vont jusqu’à insulter ou traquer dans la rue les acteurs, qu’ils confondent avec leurs personnages, nous oublions parfois de remarquer que derrière les personnages de nos séries préférées se cachent des acteurs au travail.
Ci-dessous un petit zoom sur la façon dont la qualité d’un jeu d’acteur peut influencer, en bien ou en mal, une série toute entière, à travers quelques exemples.


Des paris risqués : les grands héros





La question du jeu d’acteur se pose tout particulièrement lorsqu’une série est construite autour d’un personnage ultra-central, pilier de l’intrigue et sur lequel repose tout l’esprit d’un programme. Dans ce cas, le casting puis la direction de l’acteur principal est un véritable défi pour la production et pour la star, sur qui repose une très forte pression.
S’il est impossible de citer ici tous les acteurs qui ont réussi ce difficile exercice, on peut toujours se permettre un petit coup de projo – au hasard – sur mes deux préférés.
Toni Colette, l’actrice principale de la série United States of Tara, interprète une héroïne en lutte contre un trouble de la personnalité multiple, nous offre une véritable leçon de comédie tout au long des trois saisons. En une simple micro-expression, une voix changée, elle passe d’une personnalité à une autre en un rien de temps et avec une subtilité sans pareille.
David Tennant est le deuxième exemple, le genre d’acteurs dont il faudrait faire des cadres et les afficher au-dessus de son lit. Il est, de plus, un magnifique cas d’étude du « et-s’il-avait-été-joué-par-un-autre » puisque Doctor Who, la série britannique dans laquelle il a exercé son génie, repose sur le principe du rôle tournant : le héros, disposant de plusieurs vies, régénère son corps à chacune de ses morts. David Tennant est ainsi le dixième acteur à avoir interprété le rôle du l’extraterrestre fou, de 2005 à 2010 et le moins que l’on puisse dire est qu’il inondé le rôle de son charisme et de son talent. Son départ, en 2010, a suscité une vive émotion et créé un vide que son successeur, Matt Smith, a bien du mal à combler. Ci-joint ma scène préférée, au cours de laquelle David Tennant révèle toutes les facettes de ce personnage complexe, ultra brillant, fou, et d’une extrême sensibilité. Une véritable leçon d’interprétation :



Mais parce qu’on ne peut pas se contenter de jeter des fleurs, rappelons que le format « ma série tourne autour d’un personnage » présente aussi de gros risques pour l’acteur star. Un exemple de pari perdu : Dexter, où l’on voit avec tristesse le pourtant excellent Michael C. Hall se débattre avec un rôle trop mis en avant, ayant réduit son jeu d’acteur à une voix étrange et une totale absence d’expression faciale. 


Too big for my part : les pépites dans les séries collectives



Il n’y a pas que dans les rôles de star que l’on repère les acteurs de qualité. Bien souvent, il est même beaucoup plus intéressant, pour un acteur, de s’épanouir au sein d’une série chorale, en élevant un simple rôle au rang de trésor imprévu.
On peut citer ici deux exemples d’interprètes splendides, ayant particulièrement réussi à tirer leurs épingles d’un jeu collectif dans des séries aussi excellentes que The West Wing ou The Tudors, où ont respectivement excellé John Spencer et James Frain dans le même exercice : le second rôle et plus précisément le bras d’un puissant homme politique. Risquant à tout instant de se faire étouffer par l’acteur principal, les deux hommes ont trouvé dans la retenue toute la puissance de leurs personnages respectifs.

Dans The Tudors, James Frain, interprète un merveilleux Thomas Cromwell, ministre du roi Henry VIII ayant organisé la réforme protestante : un personnage tout en réserves et subtilités parfaitement maîtrisées par ce prince de la micro expression. On vous montre ici la magistrale scène de son exécution : parmi la ribambelle de décapitations qui rythme l’intrigue, James Frain sort ici son épingle du jeu en livrant une prestation impeccable.




Un autre exemple de rôle sublimé : celui de Leo McGarry, le Directeur de cabinet du Président des Etats-Unis, dans The West Wing. Le duo fonctionne parfaitement, dans la complicité, la chamaillerie ou le franc affrontement entre les deux hommes. Bien sûr, Martin Sheen, dans son style excentrique, campe un très bon président. Pourtant, on ne peut s’empêcher d’admirer l’interprétation de son partenaire, le regretté John Spencer, dans un rôle plus difficile car tout en retenue, classe et fermeté.

Voilà un acteur qui ne joue pas à l’œil nu. Il imprègne  dans le coin d’un sourire, dans un lever de sourcil, toute la psychologie du personnage.

Mais, si le format chorale permet souvent l’épanouissement des acteurs, il présente aussi un risque de taille : un acteur volant l’écran des autres, comme c’est arrivé à la série Urgences (E.R.). Devant la qualité du jeu de Maura Thierney, qui interprète Abby Lockart à partir de la saison 6, les scénaristes tendent à développer le personnage, si bien que la série se transforme rapidement en Abby-land, tandis que sa force résidait justement dans sa choralité.


Créer son propre personnage



Dernier cas d’étude de nos parcours de rôle : les acteurs dont l’interprétation a visiblement inspiré les auteurs et ainsi, fait évoluer leur propre personnage au cours de l’intrigue. On citera ici deux acteurs ayant réussi cette prouesse, l’un pour une réussite totale et l’autre de façon très décevante. Et histoire de comparer ce qui est comparable, prenons pour cobayes deux rôles à peu près similaires, au départ : Abed Nadir, interprété par Danny Pudi dans Community, et le désormais culte Sheldon Cooper, campé par Jim Parsons The Big Bang Theory. Les personnages, en effet, se ressemblent : deux hommes intelligents, brillants et présentant tous les symptômes du syndrome d’Asperger. Tous deux interprétés par d’excellents acteurs, ils tendent à prendre de plus en plus de place dans le groupe d’amis qui constituent les personnages de la série.
Pour Danny Pudi, pas de doute, c’est un véritable succès. En vérité, les mots ne suffisent pas à décrire à quel point cet homme est brillant et son talent épanoui dans cette série. L’acteur, capable de tout jouer, trouve dans ce rôle l’opportunité d’exploiter toutes ses capacités. Et plus l’acteur réalise de prouesses, plus les auteurs lui trouvent de nouvelles métamorphoses à opérer. Le personnage d’Abed, passionné par la pop culture et toujours enclin à personnifier ses références, permet en effet autant de fantaisies que l’imagination n’en offre. Quant à Danny Pudi, on n’a jamais vu ça !



Pourtant, méfions-nous, car un bon acteur n’est pas gage de qualité. Il peut aussi arriver que, pris dans l’euphorie du succès, les auteurs viennent à développer excessivement les traits d’un personnage. C’est le cas dans The Big Bang Theory, où le succès de Sheldon Cooper semble avoir rendu tout le monde complètement fou. Emballés par le talent de Jim Parsons, les auteurs tentent, à partir de la saison 3, d’accentuer le trait mais ne réussissent qu’à faire de lui une caricature : tantôt un robot, tantôt un enfant. Quant à l’acteur (est-ce bien sa faute ?) il tombe dans le sur-jeu, caricaturant honteusement ce qui le rendait brillant au début de la série.

On l’aura compris, le travail d’un acteur compte au moins autant que la structure ou les dialogues d’une série, car la construction d’un personnage n’est rien sans un bon interprète, sans oublier qu’un mauvais peut tout faire échouer…

Eva Sautel

Eva Sautel a publié Les Postes Restantes chez l'Harmattan en 2012, collection Écritures. 

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