C’est avec un immense plaisir (et la permission des minous) que je
viens à nouveau envahir vos écrans de commentaires sur la beauté du jeu des
acteurs dans les séries TV. Aujourd’hui, on s’intéresse au jeu en duo, à
travers quelques exemples. Eva Sautel.
Savoir jouer des monologues,
c’est bien joli mais il est un défi encore plus grand : jouer à deux et ainsi
partager la responsabilité de transmettre une émotion, une ambiance. Il implique
une direction d’acteurs impeccable mais surtout, une grande confiance entre les
deux partenaires. Pour certaines séries, la découverte d’un duo gagnant a donc
été un atout de taille.
On ne parle pas ici des X Files,
Bones ou autres Castle, dont un duo de personnages constitue souvent le pitch
lui-même : regardez ces deux équipiers, rassemblés contre leur volonté et
qui vont flirter sans résultat pendant cinq saisons… ces associations sont
souvent artificielles et jouées avec peu d’intérêt.
L’installation d’un duo de
personnages prend, en revanche, tout son sens lorsqu’il est intégré à une
histoire plus large. La relation se doit alors d’être plus riche, plus complexe
et jouée avec une grande subtilité par les comédiens : comment exprimer la
communication entre deux personnages ? Comment, sans un mot, faire
comprendre au spectateur la relation qui les lie ? Ci-joint quelques coups
de cœur.
Ellen Pompeo et Sandra Oh : l’émotion brute
Et pour commencer, un des duos
les plus émouvants de la tv : Ellen Pompeo et Sandra Oh, interprétant
respectivement Meredith Grey et Cristina Yang dans la série Grey’s anatomy. Si le programme se
trouve souvent critiqué (quelques fois à raison) pour une écriture très kitsch
et un récit très mélo de la vie des chirurgiens du Seattle Grace Hospital, il
recèle également quelques perles qui font toute sa qualité. Parmi elle, l’excellente
rencontre entre l’interprétation des deux comédiennes principales. L’amitié des
deux personnages est écrite par Shonda Rhimes dans la retenue et pousse le
plus souvent les deux actrices à l’interprétation muette, ce qui, dans des
scènes à deux, est une sacrée performance. Quoique privées de dialogues de type
« tu es ma BFF à moi » ou d’étreintes constantes, les deux actrices
parviennent ainsi à exprimer avec talent l’amitié fusionnelle qui lie les deux
personnages.
Pour exemple, une scène
illustrant plutôt bien les points forts de chacune. D’abord, on s’offre le
plaisir de regarder Sandra Oh, qui sait sangloter mieux que personne et
conserver, tout au long de la scène, l’énergie d’une pure et simple crise de
nerfs. Quant à Ellen Pompeo, elle joue avec brio le silence consterné, le
« c’est le bronx mais bon, on va attendre pour voir si ça s’arrange parce
que là, j’ai pas l’énergie de faire autre chose ». Le contraste entre les
deux est poignant.
John Spencer et Martin Sheen : la bataille des mots
Je vous avais déjà embêtés avec
ces deux-là dans un précédent article, mais là, franchement, ce serait bête d’y
couper : The West Wing, qui
retrace les deux mandats à la Maison
Blanche du Président démocrate Josiah Bartlet. À la tête de ses collaborateurs
les plus proches, Leo McGarry, son ami de 30 ans, lui offre soutien, conseil,
et le recul pour prendre bon nombre de décisions complexes. Au-delà de la
qualité de l’écriture, on admire le travail des deux acteurs qui parviennent à
faire sentir dans leur jeu toute l’affection que les personnages ont l’un pour
l’autre et l’histoire qu’ils ont en commun, sans perdre un instant la force de
débats souvent virulents et toujours contradictoires. Une preuve parmi plein
d’autres :
Dans cette scène, Leo (John
Spencer) parvient à convaincre le Président (Martin Sheen) d’organiser l’assassinat
d’un diplomate du Moyen-Orient et chef d’un réseau terroriste. Le ton est calme
et pourtant, les mots très violents sont ressentis comme tels, grâce à une
interprétation toute en micro expression. Observez : Martin Sheen joue avec
le regard alors que John Spencer mise tout sur le bas de son visage, mimiques
et autres plissements de lèvres.
Jennifer Anniston et David Schwimmer : l’amuuuur fou
Certains la trouve ringarde,
d’autres préfèrent le terme « culte », la série F.R.I.E.N.D.S. a en
tout cas bien secoué, dans les années 1990, le monde de la sitcom grâce à des
personnages attachants et des dialogues excellemment écrits. Mais si l’on a
beaucoup critiqué ou adoré la série pour son écriture, il est plus rare qu’on
s’arrête sur la qualité du jeu de ses acteurs.
Le casting compte pourtant au
moins deux comédiens de grand talent : David Schwimmer (Ross) et Jennifer
Anniston (Rachel), dont l’histoire d’amour est sans doute le fil rouge le plus
important des dix saisons. Voilà donc nos deux acteurs face à un défi de
taille : mêler l’interprétation comique de leur personnage (ce qui,
pardon, est déjà une des choses les plus compliquées à jouer) sans jamais
perdre l’immense nostalgie ressentie par les deux personnages, devant une
relation amoureuse qu’ils ne parviennent pas à faire fonctionner.
Et parce qu’elle est culte, ne
résistons pas à une vingt-millième vision de la scène du premier baiser entre les
deux friends. Davis Schwimmer joue
admirablement de la détresse de son personnage pour servir le comique :
face à la fille qu’il aime depuis quinze ans, le paléontologue un peu coincé
n’est plus qu’un adolescent bégayant et instable. La métamorphose est jolie et
difficile à faire, on y croit : j’achète.
http://www.youtube.com/watch?v=Mrzji3KgNJc&feature=related
Eva Sautel |
Eva Sautel a publié Les Postes Restantes chez l'Harmattan en 2012, collection Écritures.
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