mardi 16 octobre 2012

Déjouer les jeux - Portrait d’une performance



Salut les fans de chats !
On continue notre série d’articles sur les acteurs de séries qui ont du talent. Et parce que je suis une petite fayote, on parle ce mois-ci d’une actrice dont l’ami N. est particulièrement amoureux : Julianna Margulies.

Et elle a des arguments à revendre ! Cette quadra au visage de poupée donnerait, à première vue, l’impression de sortir d’une
peinture de Vermeer avec son teint cristallin, des yeux noirs mais genre pas pour plaisanter et la bouche parfaitement dessinée. Elle est tellement classe qu’on se demande s’il est même possible de toucher à cette image, que l’on voudrait encadrée dans son salon et c’est tout.

C’est pourtant sur cette beauté froide et figée que Julianna Margulies fait reposer toute la qualité de son interprétation dans The Good Wife. Elle y campe, depuis 2009,  Alicia Florrick,  une avocate reprenant sa carrière après quinze ans en tant que mère au foyer. Sa famille est, de plus, quelque peu remuée par le scandale sexuel ayant envoyé son mari en prison, la forçant à retravailler. Face à ces caractéristiques de personnage plus que casse-gueule, le risque de sombrer dans le cliché était grand. On en a déjà vu des ribambelles, des mères de famille-courage, des femmes bafouées qui pleurent seules devant leur miroir mais font face tellement elles se sont trouvée une force qu’elles ignoraient avant. On en a vu plein, des actrices jouer ce même rôle sans la moindre subtilité, le plus bel exemple ces dernières années étant quand même Marcia Cross, la championne de la petite voix aiguë et du visage parfaitement inexpressif utilisé grossièrement pour signifier que oui, oui, elle souffre à l’intérieur.


Oui, boutonner sa veste rose jusqu’en haut et se mordre l’intérieur des joues sans jamais cligner des yeux, c’est une technique en béton pour authentifier son jeu…

C’était sans compter sur le talent de Julianna, qui se tire avec un brio incroyable de cet exercice.  Jamais on n’avait vu, sur le petit écran, une actrice capable d’exprimer autant de trucs, juste avec son visage et avec autant de finesse ! Le visage figé, elle parvient grâce à un regard sur-expressif à retransmettre les émotions d’un personnage en proie au doute permanent.
Aussi se laisse-t-on volontiers faire, même lorsqu’un long plan séquence nous colle en gros plan et en muet le visage de l’actrice sur lequel il se passe un millier de choses à la seconde, et ce au seul renfort d’un regard bien dirigé ou d’un plissement de lèvres. C’est beau, il y a de quoi être fan.


Voilà une scène extraite de la saison 1 : Alicia Florrick est convoquée au tribunal, pour témoigner en faveur de la libération de son mari, qui a couché avec un paquet de putes. Regardez-moi ce travail : pas une mèche de cheveux qui bouge, pas un clignement d’œil plus haut que l’autre et pourtant on a comme l’impression d’être à l’intérieur de la poitrine du personnage. Quel est son secret ? Mon avis est que tout repose sur le mouvement de la mâchoire : de temps en temps, elle avance sa mâchoire inférieure pour parler, ce qui lui donne un air juste assez énervé, juste assez contenu. Toi aussi, lecteur, essaie de le faire devant ta glace pour voir si ça marche. Dentition parfaite recommandée.

On percevait déjà les qualités de ce jeu d’actrice dans Urgences, la série par laquelle elle a été révélée en 1994, dans le rôle de l’infirmière Carol Hattaway, la femme devant laquelle la moitié de la planète s’est inclinée pour reconnaître : « ok, elle est digne de George Clooney. » ce qui n’est pas rien. Elle y interprétait alors un personnage très différent : une femme beaucoup plus sauvage, émotive et même assez instinctive. Mais déjà, on lui distinguait une grande capacité à la mélancolie, et une parfaite maîtrise d’un personnage qui balance entre une apparente décontraction et une franche tendance à la dépression.


Le coup de l’œil triste et de la bouche entre-ouverte n’est pas à refaire chez vous : trop dangereux si vous n’avez pas la bouche de Julianna Marguiles.

De là à penser qu’Alicia Florrick est une sorte de Carol Hattaway venue à la maturité, une femme qui a appris de ses erreurs qu’il lui fallait cesser de sourire, pleurer ou se mettre en colère en public, il y a un pas qu’on est tenté de franchir. On peut en tous cas affirmer que l’actrice atteint, avec ce rôle, une interprétation optimale, enrichie par ses précédentes expériences.
Pourtant, il est intéressant de le préciser, la qualité de la prestation de l’actrice n’est, à mon avis pas due à la qualité du rôle. Je m’exprime ici en mon nom car je sais qu’il y a entre les minous et moi quelques minimes désaccords sur la question : je ne supporte pas Alicia Florrick, un rôle qui a tellement peu d’intérêt à l’écriture que les mots me manquent. Le héros dont le talent sort de nulle part, infaillible, qui gagne tout tellement elle a de l’instinct et elle est si intelligente que des avocats qui ont quatre fois son expérience ne peuvent pas se passer d’elle… voilà, quoi. Le petit prodige a dû perdre deux affaires en trois saisons, à tout casser, tout le monde veut l’engager ou prendre sa place, elle gère avec sang-froid toutes les situations possibles et pour ceux qui, comme moi, préfèrent les héros qui galèrent, ça manque terriblement de finesse. L’actrice n’a donc que plus de mérite à livrer une pareille performance et pour ma part, j’ai l’assurance que mon amour pour elle n’a rien à voir avec mon engouement pour la série.
De manière générale, il y a beaucoup de reproches à faire à l’écriture du scénario : des personnages un peu simplistes, des histoires à la morale ultra manichéenne et une héroïne dépeinte comme la dernière personne au monde à avoir un cœur aussi pur… Pourtant, la série fonctionne, on se laisse prendre sans problème et ce, à mon sens, grâce au talent d’une collection d’acteurs de grand talent : on citera Christine Baranski, Josh Charles ou encore Alan Cumming, des acteurs suffisamment balèzes pour tenir le menton à la petite Margulies.
         Comme si ça ne suffisait pas, la production décide régulièrement de balancer dans le casting des guest star de la mort qui tue, dans le style de Michael J. Fox, Denis O’Hare, Martha Plimpton ou plus récemment une autre ex-star de Urgences, l’excellente Maura Tierney. Donc, le moins que l’on puisse dire, c’est que je veux rencontrer le chef du Casting de cette série pour lui faire un high five.

Voilà pour mon éloge du mois, n’ayez pas peur de commenter en cas de désaccord ou d'accord ! On se reverra la prochaine fois avec le portrait d’un autre acteur sorti de mon tableau d’honneur personnel. Portez-vous bien !
Eva Sautel



Eva Sautel a publié Les Postes Restantes chez l'Harmattan en 2012, collection Écritures.


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