N. vous l'a montré, les séries américaines sont bien souvent le vecteur d'idées très traditionnelles sur la période des fêtes : les networks mettent en scène intrigues et personnages qui font l'expérience d'un réveillon de Noël de type barbe à papa, au son de Baby, it's cold outside. C'est beau, mais assez paradoxalement, une telle mise en avant de la tradition n'a aucun rapport avec la réalité d'un 25 décembre pour le commun des mortels. Oui, pour toi et moi, lecteur, bien souvent, Noël est synonyme d'une galère bien spécifique que Rachel Berry ne semble jamais rencontrer. Il faut aller respirer l'air qu'expirent des centaines de personnes à la Fnac, faire la queue 38 minutes pour acheter une paire de bouquins, les emballer tant bien que mal à grands renforts de jurons pour un résultat "effet froissé" très tendance, puis les offrir à ta mère, ton père, ton frère qui te sortira un "merci" crispé avant de les poser à côté de sa maudite assiette de bûche. Il faut aussi affronter la perspective du rassemblement d'une famille, ou celle de l'éclatement de ladite famille ; et puis Noël, il y a des gens qui s'en tamponnent grave le coquillard et ne trouvent pas nécessaire de subir Demis Roussos diffusé à fond les manettes dans les rues d'Avignon. Je sais bien que l'on regarde rarement des séries pour s'y retrouver et que le mécanisme habituel consiste à transcender notre petit quotidien au travers d'expériences qui nous sont globalement inaccessibles ; cela ne m'empêche pas de regarder d'un oeil caustique la farandole de bons sentiments dont on nous inonde la face au travers des séries que j'apprécie le reste de l'année. C'est pour cette raison que mon rôle en ce mois de décembre est de vous parler de l'envers du décor et de voir comment, grâce aux quelques séries qui prennent ce parti, Noël est parfois détourné. Vous feriez mieux d'ailleurs de vous coller Sufjan Stevens dans les oreilles si vous ne voulez pas sauter à la gorge de Mamie qui traîne encore dans votre salon car naturellement, l'ambiance est à la catastrophe, à l'épuisement et à la douleur : la demi-mesure, c'est pour les sucrées.
La mort.
Ah, ça vous calme! L'un des premiers motifs de destruction de Noël est, de façon assez logique d'ailleurs, le deuil qui s'abat sur les personnages d'une série. Effectivement, un décès se produit rarement au bon moment, mais c'est un peu comme les ruptures de Saint-Valentin pour les midinettes, c'est quand même un peu con de mourir au moment où tout le monde agite ses Kinders et sa poussière d'étoile. Abordé avec extrême dérision dans Mariés, deux enfants, lorsqu'un Père Noël de figuration vient s'écraser dans le jardin des Bundy et ruine leur réveillon de rustres en les confrontant à de joyeux enfants, ce thème est pourtant parfois traité avec finesse et justesse. C'est le cas dans le premier épisode de Six Feet Under : il s'agit d'une série qui porte fondamentalement sur la mort et le deuil, une thématique induite par le décès brutal dans les premières minutes du pilote du père de la famille Fisher et pérénisée par l'activité familiale : les pompes funèbres. Ainsi ce qui n'est, au départ, qu'un rassemblement de famille forcé pour le fils aîné, Nate et sa soeur cadette Claire, vire au drame : on ressent immédiatement la faille qui s'ouvre en chaque membre de cette famille, qui sont tous par ailleurs complètement frappés. Ici, la violente expression de la douleur de la mère répond au calme froid du fils cadet, déterminé à gérer la situation comme si son père n'était qu'un autre client : sa dépouille est rapatriée dans la maison funéraire familiale, son corps vidé de ses fluides, embaumé, réparé tandis que s'organise un enterrement terriblement conventionnel. Une confrontation s'opère entre le mode de vie profondément décalé de la famille Fisher -pour laquelle la mort est un business- et l'indifférence dans laquelle celui qui les maintenait tous à flots disparaît. La fête de Noël, chez les Fisher qui entrent en deuil pour quelques saisons, devient par là synonyme de rupture, de déchirement : c'est le moment où leurs vies ont basculé, le moment qui, pour le restant de leurs jours, a atomisé leurs relations et leurs perspectives d'avenir.
Six Feet Under représente bien sûr une forme d'absolu dans le détournement des fêtes, et la mort intervient parfois dans les séries télévisées pour perturber l'esprit de Noël sans pour autant détruire personnages, décors et caméras sur son passage. Un bel épisode d'Urgences en est la preuve : je dis qu'il est beau, déjà parce qu'il s'agit du fameux épisode tourné entièrement à rebours (Hindsight), puis parce qu'il est un peu unique dans l'histoire de la série. En effet, Urgences a habitué ses fidèles, année après année, à des épisodes de Noël à base de bonbons et lumière divine : le docteur Benton rend miraculeusement la vue à un patient sans-abri, Carol et Doug s'avouent leur kiff réciproque...L'épisode que j'ai choisi détonne singulièrement dans cet ensemble de chamallows. Il débute par l'arrivée de Luka Kovacs aux urgences, dans un hopital abondamment décoré : il est blessé, et il est en compagnie de l'externe Erin Harkins qui est inconsciente. Pour découvrir ce qu'il s'est produit, on remonte, scène par scène, la journée de Kovacs, découvrant peu à peu qu'il a clairement passé un réveillon pourri : à cette époque de la série, il n'est déjà pas très joyeux, mais ce 24 décembre le propulse directement au rayon tragédie. Alors qu'il travaille le lendemain d'une "Christmas party", sa gueule de bois l'handicape et l'un de ses jeunes patients finit en état de mort cérébrale ; un peu furieux, il conduit à toute blinde en se disputant avec Erin Harkins et heurte un autre véhicule. Comme s'il ne suffisait pas d'avoir à s'occuper des gens qu'il a blessé, la jeune femme qui semblait n'avoir aucune séquelle s'évanouit tout à coup : l'épisode s'achève sur le visage, en gros plan, de Luka Kovacs qui observe les médecins s'agiter inutilement autour du corps de son amie. La moralité de ce paragraphe, ce n'est certainement pas "boire ou conduire..." mais que parfois, même chez les Américains, le réveillon est bien merdique.
Ah, et pour les puristes qui diront qu'Erin Harkins revient, bien en vie, faire un tour dans la série quelques épisodes plus tard, il faut savoir que le script prévoyait bel et bien sa disparition d'Urgences ; c'est une petite faiblesse de la part de la production et probablement une histoire de tunes qui ont conduit à sa réanimation miracle ;)
Misère et solitude...
Quand on réfléchit aux raisons qui peuvent vous ruiner un Noël (hormis Noël itself, la face de votre grande tante ou un plateau de fruits de mer dégueulasse), on pense aussi à la misère, ou à la solitude. Crever de faim n'est jamais sympa, être seul non plus, crever de faim tout seul encore moins. Il existe à ce sujet un exemple percutant, bien qu'il date de 1994 ; il s'agit de l'épisode So Called Angels (ho le beau titre) de la série intitulée My So-Called Life (ou Angela, 15 ans en VF. Ah! la VF...).
Cette série n'a duré qu'une saison de 19 épisodes ; elle aurait dû disparaître dans les limbes, mais voilà, Claire Danes et Jared Leto jouent dedans, pour leur tout premier rôle...Au delà d'un manager de casting de folie, My So Called Life a d'autres qualités : c'est une véritable perle au rayon des séries pour adolescents, dans un premier temps parce que rares sont les teen drama intéressants et complexes, puis parce que c'est l'un des seuls shows où la vie lycéenne est dépeinte avec crédibilité. Un bahut délabré, des toilettes crades, des goûts vestimentaires hétérogènes...des parents cinglés, des parents tyranniques, des parents dépassés. Angela, ses chemises de mec, ses collants et ses doc martens traversent épisode après épisode des péripéties à la fois réalistes et bien mises en scène ; culte, donc. Dans l'épisode de Noël, son ami Ricky, un brin outcast puisqu'il est à la fois homosexuel et maltraité par son père, fuit le domicile familial. Il erre dans les rues, dans le froid et la neige de Pittsburgh ; humilié, le visage tuméfié, il refuse de dévoiler sa situation à ses amis et doit squatter un immeuble abandonné. Dans sa quête pour venir en aide à son ami, contre l'avis de ses parents qui voient là un grand danger pour leur fille, Angela est confrontée à la réalité de la misère et du dénuement ; sa mère refusant d'accueillir Ricky pour les fêtes, Angela se détache complètement de Noël et transfigure l’évènement en prenant la fuite le soir du réveillon. Aidée d'une jeune sans abri au charme onirique, elle entame un voyage initiatique au coeur du monde très particulier de la jeunesse en détresse et comprend à quel point la frontière entre sa vie et la leur est mince... L'épisode transforme un réveillon anodin à base de dinde et stuffing en une véritable veillée qui finit par rassembler Angela et sa famille dans une petite église ; ils écoutent un trio de chanteuses gospels et achèvent leur soirée en dépit de tout ce dont ils ont été témoins. Ce qui peut passer pour un énième happy ending est en réalité une reconstruction : on nous apprend que le véritable esprit de Noël ne réside pas dans une célébration propre et nette, mais dans l'imprévu, dans le sabordage de la routine, dans la catharsis.
Un autre Noël rendu atypique par le malheur des protagonistes est celui que passent les hommes de l'agence publicitaire au coeur de l'excellente Mad Men. Cet épisode, intitulé Christmas comes but once a year et significativement diffusé en août, est centré autour de la fête de Noel que doivent urgemment organiser les dirigeants pour la venue de leur plus gros client, le représentant de Lucky Strike. Là où la majorité des séries nous jettent à la gueule des tartines de générosité outrancière, Mad Men avertit ses spectateurs des dangers d'un don excessif de soi. Ainsi Roger Sterling, partenaire au sein de l'agence, est-il intimidé par Lee Garner Jr. (qui représente l'essentiel de son gagne-pain) : le patron de Lucky Strike est un bien beau connard. Non content d'avoir sauté dans la fourmilière en annoncant son arrivée deux jours avant Noël, il se comporte alors en parfait faquin. Au moment de la distribtution des cadeaux, de nombreuses cartouches de Lucky Strike, il contraint Roger Sterling a passer un costume de Santa et à faire défiler ses employés sur ses genoux. L'humiliation de Sterling fait alors écho à la véritable décadence de son ami et partenaire, Don Draper : tout à sa douleur de devoir passer les fêtes sans ses enfants ni sa femme, enterré jusqu'au cou dans la solitude froide de ceux que personne ne connaît vraiment, il s'enivre jusqu'à l'excès. Ce qui dans les premières saisons de la série n'est qu'une habitude sexy pour les spectateurs d'une époque où personne ne s'effrayait du whisky et de la cigarette, devient progressivement le symptome d'une dépression pitoyable. Le cheveux gras et l'oeil brillant, Don jette son dévolu sur sa secrétaire : alors qu'elle lui ramène ses clés d'appartement, qu'il a oubliées au bureau, il utilise l'ascendant qu'il a sur elle en dépit de son état pouilleux pour tirer son coup en trois minutes cinquante. Le lendemain, honteux et inquiet, il fait mine d'avoir tout oublié et lui offre un bonus de Noël exorbitant. On voit bien qu'à Noël, affligeants, irresponsables et désespérés, les hommes de tête de Mad Men touchent littéralement le fond du seau et y font trempette pendant qu'Izzie Stevens décore son sapin.
Le délire
Pour avoir personnellement vécu quelques moments falabracs au cours des dernières quarante huit heures, je dirais que parfois, ces fêtes que l'on veut à base de cadeaux et de sourires partent en chips et puis voilà. Alors bien évidemment, je vous mets au défi de me trouver une série qui fracasse ses personnages à coups de pagaie à l'occasion d'un réveillon. Toutefois, deux ovnis télévisuels ont su investir les fêtes à leur façon frappadingue et mettre en valeur ce que je qualifie donc de délire.
Futurama déjà, cette série animée tout bonnement mortelle et réssucitée depuis 2010; l'action se situe au troisième millénaire, dans un environnement futuriste et décalé qui comprend par exemple des cabines à suicide low cost. Depuis une expérience foirée, le Père Noël existe vraiment mais sous forme de robot; mal programmé, il est convaincu que tout le monde a été vilain et entre dans une phase de folie meurtrière tous les 25 décembre. Noël est ainsi devenue une fête inspirant terreur et barricades, qui incite les petits enfants à plaider pour leur vie au lieu de demander des Iphone 4. La bande de protagonistes décide dans A tale of two santas que c'en est trop, il faut désarmer le Père Noël; ils réussissent dans un premier temps mais l'un d'entre eux se fait arrêter par la police pour avoir distribué des cadeaux. Etant lui-même un robot plutôt vulgaire et agressif, il est jugé pour les crimes du Père Noël qui vient à sa rescousse : les deux automates mettent alors New New York à feu et à sang, tandis que tout le monde cède à la terreur et s'enferme chez soi...Cette métaphore déjantée de la systématisation des fêtes de fin d'année et de l'aspect cruel de la dictature des cadeaux et du bon esprit est très certainement unique en son genre. (D'ailleurs, si vous n'avez pas vu Futurama, les mecs, il est grand temps de vous y coller).
D'autres ont cependant eu les cojones de véhiculer une image désacralisée de Noël : ceux sont les scénaristes de United States of Tara. Trois saisons de bonheur sur Showtime, passées à regarder la famille Gregson souffrir du dédoublement en dix-huit de la personnalité de Tara, la mère. Représenter cette famille de tarés finis autour d'une table avec foie gras et paquets bariolés n'a jamais été une priorité pour les créateurs, mais Noël a reçu un traitement bien mérité dans la dernière saison. Bien qu'il n'y ait jamais eu d'épisode de Noël à proprement parler, la "magie" des fêtes apparaît à deux reprises, lorsque Sandy, la belle-mère de Tara, est présente dans la série. Sandy Gregson est jouée par Frances Conroy qui, on le rappelle, a un don fabuleux pour jouer les cinglées. Ça n'y coupe pas, Sandy est atteinte d'un syndrome de Diogène bien rodé : elle stocke des millions de trucs dans son appartement qu'elle ne parvient pas à quitter de peur de mourir. Sa pièce préférée? La "Christmas Room".
C'est une accumulation indescriptible de décorations lumineuses, de chocolats datés au carbone 14 et de Pères Noël chantants...Le ton est donné : Noël est une fête de fous. C'est dans cet endroit surréaliste que Sandy et Marshall, son petit-fils, ont une discussion tout aussi hallucinante au sujet de la solitude, de la folie et de la sexualité, qui nous laisse cette réplique merveilleuse de la part du jeune homme : "Being gay is like Christmas every day". Ce qui sous-entend difficilement que Noël soit une fête simple et agréable.
Sandy réapparaît en fin de saison, dans un contexte indicible (pour cause de spoil potentiel en fait) : la folie, à ce moment-là, est à son paroxysme chez Tara Gregson : le spectateur serre les dents et ferme les yeux à chaque minute de chaque épisode. La Christmas Room est alors à la fois un lieu de refuge mais aussi de puissant déni pour Sandy et Marshall : ce dernier a fui le délire familial pour un trouble plus doux. Urgence oblige cependant, ils volent tous deux au secours de Max, époux de Tara et fils de Sandy. C'est alors que dans l'ambiance de fin du monde qui règne la-bas, Sandy décore la maison du sol au plafond, comme si cela pouvait résoudre tous les problèmes, tandis qu'une Tara littéralement possédée lui balance un cruel "Christmas is bullshit". Finalité : guirlandes et sapins ne résolvent rien, car les situations désespérées le restent envers et contre tout. Pire encore, s'enfermer dans une festivité feinte est l'apanage des grands malades, qui vivent au pays des illusions.
Au final, que dire? Peut-être que ces quelques exemples montrent que parfois, il est bon de se dérober à la tradition et à l'évidence. Qu'une série télé peut contribuer à tous types d'évasion, sans toujours projeter de complaisantes images, aussi. Et qu'en fait Noël, des fois on s'en fout, et c'est tout.
Sur ces bonnes paroles, j'espère que vous digérez bien la nourriture, l'alcool, la colère ou la fatigue dont vous faites une overdose; courage, c'est bientôt fini!
Six Feet Under représente bien sûr une forme d'absolu dans le détournement des fêtes, et la mort intervient parfois dans les séries télévisées pour perturber l'esprit de Noël sans pour autant détruire personnages, décors et caméras sur son passage. Un bel épisode d'Urgences en est la preuve : je dis qu'il est beau, déjà parce qu'il s'agit du fameux épisode tourné entièrement à rebours (Hindsight), puis parce qu'il est un peu unique dans l'histoire de la série. En effet, Urgences a habitué ses fidèles, année après année, à des épisodes de Noël à base de bonbons et lumière divine : le docteur Benton rend miraculeusement la vue à un patient sans-abri, Carol et Doug s'avouent leur kiff réciproque...L'épisode que j'ai choisi détonne singulièrement dans cet ensemble de chamallows. Il débute par l'arrivée de Luka Kovacs aux urgences, dans un hopital abondamment décoré : il est blessé, et il est en compagnie de l'externe Erin Harkins qui est inconsciente. Pour découvrir ce qu'il s'est produit, on remonte, scène par scène, la journée de Kovacs, découvrant peu à peu qu'il a clairement passé un réveillon pourri : à cette époque de la série, il n'est déjà pas très joyeux, mais ce 24 décembre le propulse directement au rayon tragédie. Alors qu'il travaille le lendemain d'une "Christmas party", sa gueule de bois l'handicape et l'un de ses jeunes patients finit en état de mort cérébrale ; un peu furieux, il conduit à toute blinde en se disputant avec Erin Harkins et heurte un autre véhicule. Comme s'il ne suffisait pas d'avoir à s'occuper des gens qu'il a blessé, la jeune femme qui semblait n'avoir aucune séquelle s'évanouit tout à coup : l'épisode s'achève sur le visage, en gros plan, de Luka Kovacs qui observe les médecins s'agiter inutilement autour du corps de son amie. La moralité de ce paragraphe, ce n'est certainement pas "boire ou conduire..." mais que parfois, même chez les Américains, le réveillon est bien merdique.
Ah, et pour les puristes qui diront qu'Erin Harkins revient, bien en vie, faire un tour dans la série quelques épisodes plus tard, il faut savoir que le script prévoyait bel et bien sa disparition d'Urgences ; c'est une petite faiblesse de la part de la production et probablement une histoire de tunes qui ont conduit à sa réanimation miracle ;)
Misère et solitude...
Quand on réfléchit aux raisons qui peuvent vous ruiner un Noël (hormis Noël itself, la face de votre grande tante ou un plateau de fruits de mer dégueulasse), on pense aussi à la misère, ou à la solitude. Crever de faim n'est jamais sympa, être seul non plus, crever de faim tout seul encore moins. Il existe à ce sujet un exemple percutant, bien qu'il date de 1994 ; il s'agit de l'épisode So Called Angels (ho le beau titre) de la série intitulée My So-Called Life (ou Angela, 15 ans en VF. Ah! la VF...).
Cette série n'a duré qu'une saison de 19 épisodes ; elle aurait dû disparaître dans les limbes, mais voilà, Claire Danes et Jared Leto jouent dedans, pour leur tout premier rôle...Au delà d'un manager de casting de folie, My So Called Life a d'autres qualités : c'est une véritable perle au rayon des séries pour adolescents, dans un premier temps parce que rares sont les teen drama intéressants et complexes, puis parce que c'est l'un des seuls shows où la vie lycéenne est dépeinte avec crédibilité. Un bahut délabré, des toilettes crades, des goûts vestimentaires hétérogènes...des parents cinglés, des parents tyranniques, des parents dépassés. Angela, ses chemises de mec, ses collants et ses doc martens traversent épisode après épisode des péripéties à la fois réalistes et bien mises en scène ; culte, donc. Dans l'épisode de Noël, son ami Ricky, un brin outcast puisqu'il est à la fois homosexuel et maltraité par son père, fuit le domicile familial. Il erre dans les rues, dans le froid et la neige de Pittsburgh ; humilié, le visage tuméfié, il refuse de dévoiler sa situation à ses amis et doit squatter un immeuble abandonné. Dans sa quête pour venir en aide à son ami, contre l'avis de ses parents qui voient là un grand danger pour leur fille, Angela est confrontée à la réalité de la misère et du dénuement ; sa mère refusant d'accueillir Ricky pour les fêtes, Angela se détache complètement de Noël et transfigure l’évènement en prenant la fuite le soir du réveillon. Aidée d'une jeune sans abri au charme onirique, elle entame un voyage initiatique au coeur du monde très particulier de la jeunesse en détresse et comprend à quel point la frontière entre sa vie et la leur est mince... L'épisode transforme un réveillon anodin à base de dinde et stuffing en une véritable veillée qui finit par rassembler Angela et sa famille dans une petite église ; ils écoutent un trio de chanteuses gospels et achèvent leur soirée en dépit de tout ce dont ils ont été témoins. Ce qui peut passer pour un énième happy ending est en réalité une reconstruction : on nous apprend que le véritable esprit de Noël ne réside pas dans une célébration propre et nette, mais dans l'imprévu, dans le sabordage de la routine, dans la catharsis.
Un autre Noël rendu atypique par le malheur des protagonistes est celui que passent les hommes de l'agence publicitaire au coeur de l'excellente Mad Men. Cet épisode, intitulé Christmas comes but once a year et significativement diffusé en août, est centré autour de la fête de Noel que doivent urgemment organiser les dirigeants pour la venue de leur plus gros client, le représentant de Lucky Strike. Là où la majorité des séries nous jettent à la gueule des tartines de générosité outrancière, Mad Men avertit ses spectateurs des dangers d'un don excessif de soi. Ainsi Roger Sterling, partenaire au sein de l'agence, est-il intimidé par Lee Garner Jr. (qui représente l'essentiel de son gagne-pain) : le patron de Lucky Strike est un bien beau connard. Non content d'avoir sauté dans la fourmilière en annoncant son arrivée deux jours avant Noël, il se comporte alors en parfait faquin. Au moment de la distribtution des cadeaux, de nombreuses cartouches de Lucky Strike, il contraint Roger Sterling a passer un costume de Santa et à faire défiler ses employés sur ses genoux. L'humiliation de Sterling fait alors écho à la véritable décadence de son ami et partenaire, Don Draper : tout à sa douleur de devoir passer les fêtes sans ses enfants ni sa femme, enterré jusqu'au cou dans la solitude froide de ceux que personne ne connaît vraiment, il s'enivre jusqu'à l'excès. Ce qui dans les premières saisons de la série n'est qu'une habitude sexy pour les spectateurs d'une époque où personne ne s'effrayait du whisky et de la cigarette, devient progressivement le symptome d'une dépression pitoyable. Le cheveux gras et l'oeil brillant, Don jette son dévolu sur sa secrétaire : alors qu'elle lui ramène ses clés d'appartement, qu'il a oubliées au bureau, il utilise l'ascendant qu'il a sur elle en dépit de son état pouilleux pour tirer son coup en trois minutes cinquante. Le lendemain, honteux et inquiet, il fait mine d'avoir tout oublié et lui offre un bonus de Noël exorbitant. On voit bien qu'à Noël, affligeants, irresponsables et désespérés, les hommes de tête de Mad Men touchent littéralement le fond du seau et y font trempette pendant qu'Izzie Stevens décore son sapin.
Le délire
Pour avoir personnellement vécu quelques moments falabracs au cours des dernières quarante huit heures, je dirais que parfois, ces fêtes que l'on veut à base de cadeaux et de sourires partent en chips et puis voilà. Alors bien évidemment, je vous mets au défi de me trouver une série qui fracasse ses personnages à coups de pagaie à l'occasion d'un réveillon. Toutefois, deux ovnis télévisuels ont su investir les fêtes à leur façon frappadingue et mettre en valeur ce que je qualifie donc de délire.
Futurama déjà, cette série animée tout bonnement mortelle et réssucitée depuis 2010; l'action se situe au troisième millénaire, dans un environnement futuriste et décalé qui comprend par exemple des cabines à suicide low cost. Depuis une expérience foirée, le Père Noël existe vraiment mais sous forme de robot; mal programmé, il est convaincu que tout le monde a été vilain et entre dans une phase de folie meurtrière tous les 25 décembre. Noël est ainsi devenue une fête inspirant terreur et barricades, qui incite les petits enfants à plaider pour leur vie au lieu de demander des Iphone 4. La bande de protagonistes décide dans A tale of two santas que c'en est trop, il faut désarmer le Père Noël; ils réussissent dans un premier temps mais l'un d'entre eux se fait arrêter par la police pour avoir distribué des cadeaux. Etant lui-même un robot plutôt vulgaire et agressif, il est jugé pour les crimes du Père Noël qui vient à sa rescousse : les deux automates mettent alors New New York à feu et à sang, tandis que tout le monde cède à la terreur et s'enferme chez soi...Cette métaphore déjantée de la systématisation des fêtes de fin d'année et de l'aspect cruel de la dictature des cadeaux et du bon esprit est très certainement unique en son genre. (D'ailleurs, si vous n'avez pas vu Futurama, les mecs, il est grand temps de vous y coller).
D'autres ont cependant eu les cojones de véhiculer une image désacralisée de Noël : ceux sont les scénaristes de United States of Tara. Trois saisons de bonheur sur Showtime, passées à regarder la famille Gregson souffrir du dédoublement en dix-huit de la personnalité de Tara, la mère. Représenter cette famille de tarés finis autour d'une table avec foie gras et paquets bariolés n'a jamais été une priorité pour les créateurs, mais Noël a reçu un traitement bien mérité dans la dernière saison. Bien qu'il n'y ait jamais eu d'épisode de Noël à proprement parler, la "magie" des fêtes apparaît à deux reprises, lorsque Sandy, la belle-mère de Tara, est présente dans la série. Sandy Gregson est jouée par Frances Conroy qui, on le rappelle, a un don fabuleux pour jouer les cinglées. Ça n'y coupe pas, Sandy est atteinte d'un syndrome de Diogène bien rodé : elle stocke des millions de trucs dans son appartement qu'elle ne parvient pas à quitter de peur de mourir. Sa pièce préférée? La "Christmas Room".
C'est une accumulation indescriptible de décorations lumineuses, de chocolats datés au carbone 14 et de Pères Noël chantants...Le ton est donné : Noël est une fête de fous. C'est dans cet endroit surréaliste que Sandy et Marshall, son petit-fils, ont une discussion tout aussi hallucinante au sujet de la solitude, de la folie et de la sexualité, qui nous laisse cette réplique merveilleuse de la part du jeune homme : "Being gay is like Christmas every day". Ce qui sous-entend difficilement que Noël soit une fête simple et agréable.
Sandy réapparaît en fin de saison, dans un contexte indicible (pour cause de spoil potentiel en fait) : la folie, à ce moment-là, est à son paroxysme chez Tara Gregson : le spectateur serre les dents et ferme les yeux à chaque minute de chaque épisode. La Christmas Room est alors à la fois un lieu de refuge mais aussi de puissant déni pour Sandy et Marshall : ce dernier a fui le délire familial pour un trouble plus doux. Urgence oblige cependant, ils volent tous deux au secours de Max, époux de Tara et fils de Sandy. C'est alors que dans l'ambiance de fin du monde qui règne la-bas, Sandy décore la maison du sol au plafond, comme si cela pouvait résoudre tous les problèmes, tandis qu'une Tara littéralement possédée lui balance un cruel "Christmas is bullshit". Finalité : guirlandes et sapins ne résolvent rien, car les situations désespérées le restent envers et contre tout. Pire encore, s'enfermer dans une festivité feinte est l'apanage des grands malades, qui vivent au pays des illusions.
Au final, que dire? Peut-être que ces quelques exemples montrent que parfois, il est bon de se dérober à la tradition et à l'évidence. Qu'une série télé peut contribuer à tous types d'évasion, sans toujours projeter de complaisantes images, aussi. Et qu'en fait Noël, des fois on s'en fout, et c'est tout.
Sur ces bonnes paroles, j'espère que vous digérez bien la nourriture, l'alcool, la colère ou la fatigue dont vous faites une overdose; courage, c'est bientôt fini!
W. |
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