La politique est un objet de préoccupation sur les chaînes câblées essentiellement. Sujet sérieux par excellence -hormis lorsqu'elle tombe dans la satyre comme Spin City ou plus récemment Veep - le format série n'est pas privilégié pour l'aborder. Toutefois depuis la fin des années quatre-vingt dix et grâce notamment à The West Wing, la série se politise, voire se transforme en vecteur contestataire - les créations de David Simon en sont les meilleures exemples : Treme s'attaque au gouvernement Bush, The Wire à la corruption à Baltimore et Generation Kill à la guerre en Irak. David Simon effectue toujours une étude from below, c'est à dire une analyse qui s'effectue par le bas, par ceux qui subissent les conséquences d'une dérive politique : flics, soldats, dealers, clochards, musiciens ou bien avocats sont les angles d'attaque des études sociétales de David Simon -méthode qui dans Treme atteint clairement son apogée en fricotant avec le talent des grandes fresques sociales de Zola.
D'autres moyens sont utilisés au sein des séries pour parler de la politique, comme l'information par exemple. Aussi ridicule et peu crédible que peut l'être l'image renvoyée par The Newsroom du monde journalistique, l'objectif a peine voilé d'Aaron Sorkin - créateur et showrunner de la série, à travers le traitement de l'information est la dénonciation politique : Tea Party, explosion de la plateforme off-shore au large de la Nouvelle Orleans, homophobie républicaine ou encore big brotherisation de la société, tout y passe, rien n'est épargné. Ce procédé possède les inconvénients de ses avantages : à vouloir faire franc et direct, le message perd en subtilité et réalisme, devenant une information choc et prémachée par les obsessions d'un auteur - ironique lorsque l'on sait que les intentions d'Aaron Sorkin avec The Newsroom reposent sur la volonté de dénoncer la désinformation progressive des médias ainsi que leur manque d'objectivité.
Enfin, il y a des séries comme Profit, The West Wing ou évidemment Boss, la plus grande réussite des nouveautés de l'année dernière, qui se focalisent sur les coulisses du pouvoir. C’est Boss qui nous intéresse particulièrement ici, vous l’aurez compris : nous voulons vous montrer qu’elle est différente, brillante au sein des séries brillantes. Le pouvoir, ses dérives, affres et conséquences, s’y font objets d'étude aux cotés de la politique : le sujet est alors envisagé de front, l'analyse et l'objectivité pouvant en souffrir au passage. Cet axe d'étude du politique impose ainsi dans de nombreux cas l’émergence d'un personnage phare, véritable figure de proue de la série et tenant majoritairement le rôle de leader ou celui de chef.
La figure du chef
Certaines séries ont pris le parti de mettre en scène un personnage fondamental ; elles sont nombreuses, et les séries « politiques » ne sont pas en reste. La personnalité, les ambitions, la vie de ce personnage sont alors étroitement liées aux événements que la série cherche à décrire, à tel point que l’objet politique peut s’effacer derrière un protagoniste trop imposant. The Tudors, qui brosse un portrait du règne d’Henri VIII, est un bon exemple : l’angle d’attaque se résume bien souvent aux affres du pénis de cet homme à femmes. Tom Kane, le maire de Chicago et héros de Boss, présente des similitudes avec ce personnage total par bien des aspects : l’accent est mis sur sa décadence, ses accès de folie, son obsédante mégalomanie. En revanche, le politique reste le sujet central de la série : il existe une parfaite imbrication entre Kane et son métier, puisqu’il a orchestré sa propre vie mais aussi celle de sa famille dans l’unique but de gouverner. Tout ce qui fait le personnage de Kane s’est bâti patiemment autour de la ville de Chicago. Ainsi peut-on dire qu’il constitue le chef politique par définition : le pouvoir l’habite, le consume et sa conservation dicte le moindre de ses actes. Partant, le moindre événement mineur remonte toujours à lui, d’autant qu’il domine, séduit et terrifie l’ensemble de ses administrés avec une force tenace : la « simple » description des coulisses d’un pouvoir municipal semble aussi riche d’enjeux que la mise au pas de tout un pays, chose bien inédite pour ceux d’entre nous qui ont déjà mis les pieds dans une mairie française…Le pouvoir tentaculaire de Tom Kane hypnotise immanquablement et Boss devient très vite un objet de fascination pour le spectateur, car des rouages d’une complexité remarquable sont mis en branle dans un scénario impeccablement maîtrisé, époustouflant de précision.
Son réseau
Si on a l’impression que rien ne pourra déloger le maire, ce roc, de sa position, il faut toutefois admettre qu’un véritable chef se doit d'avoir des alliés, des soutiens qui lui permettent de contrôler son entourage et tenir ses ouailles, ou, dans le cas de Boss, sa ville. Un cas d'école dans la description et l'importance d'un réseau dans la sphère politique se révèle dans The Wire où l'argent récolté par les dealers tombe en réalité dans les caisses des dirigeants policiers et politiques de la ville de Baltimore (rappelons d'ailleurs que c'est notamment ce point là qui a suscité le discours du Police Comissionner de Baltimore envers David Simon, comme quoi la série s'approche fortement de la réalité). Toutefois il faut préciser qu'au sein de ces tissus d'alliances nécessaires à la survie du pouvoir en place, il existe des différences notables de nature des relations. Ainsi, une alliance peut s'avérer équitable, fondée sur un système de don - contre don mais elle peut aussi ne se révéler profitable que pour l'une des deux parties, engageant de facto un rapport de force. C’est par exemple le cas dans Magic City lorsque Ike demande de l'aide à la mafia par l’intermédiaire de Ben Diamond : il s'engage à lui être redevable quasiment à vie.
Le réseau dont le fondement principal est la confiance peut être régulièrement remis en question par les manipulations et, évidemment, les trahisons. Du twist évidement au retournement de situation inattendu, les séries politiques usent voire abusent des trahisons et des personnages machiavéliques jusqu’à perdre, parfois, en efficacité et cohérence. Le réseau de Kane dans Boss couvre l'ensemble des thématiques précédemment citées sans pour autant perdre de sa force et de son unité. La trame scénaristique ciselée de la série met en évidence le réseau étendu de Kane - allant de ses ouvriers latino-américains de chantier à ses seconds en transitant par des journalistes -dont la cohésion est assurée par sa tête. Alors que la situation semble filer des mains du maire au fil de la saison, il lui suffit de tirer une ficelle pour que les autres suivent par un système d'alliances et de manipulations patiemment mis en place et qu'ainsi l'ensemble des manigances élaborées par ses détracteurs s'effondrent telles un château de cartes ; Kane apparaît alors comme omnipotent, voire omniscient, faisant basculer la série au-delà de la sphère politique, vers l'univers mafieux fascinant que la première saison nous révèle.
L'entourage
Le personnage du chef politique ne fonctionne jamais seul, il est duel. Sur tous les pans de sa vie, public et privé, il existe un autre personnage qui lui fait écho, un autre personnage qui le complète ou le concurrence.
Les seconds
Les seconds
Ainsi, le rôle du second est
fondamental à toute série focalisée sur les coulisses du pouvoir. Ce dernier
peut prendre la forme d’un conseiller comme Ezra Stone dans Boss, d’un homme de main ou d’un
directeur de campagne, Eli Gold dans The
Good Wife, par exemple. Incarnant tantôt la discrétion, tantôt le charisme
débordant, ils sont à la fois garants du pouvoir, celui qui dépasse l’homme qu’ils
secondent, et protecteur de l’homme auprès duquel ils ont prêté allégeance.
Souvent cette ambivalence aboutit au sacrifice au nom de l'une des deux causes :
ainsi Thomas More dans The Tudors
préfère mourir au nom de sa conception du pouvoir en lieu et place de rester en
vie en se pliant aux décisions de son roi Henri VIII. A contrario Eli Gold dans The Good Wife n’est loyal qu’envers
Peter Florrick, il est prêt à toutes les manipulations et négociations, même
auprès de la femme de son candidat, pour lui apporter le poste de gouverneur. Boss quant à elle fait dans l’intense
et le sexy par le biais du personnage d’Ezra Stone, voire à moindre échelle
celui de Kitty. Cette dernière incarne le second qui trahit au nom de l’opportunisme,
celui qui fait défection au chef pour rejoindre la concurrence guidée notamment
par la chair et les sentiments. Ezra quant à lui, sublime le rôle du second :
il oscille au sein de la dichotomie pouvoir-chef. Il est à la fois fervent
défenseur de son chef, Tom Kane, mais n’hésite pas effectuer tous les sacrifices nécessaires pour
la préservation du pouvoir. En réalité, Ezra Stone incarne la clef d’interprétation
du message de la créatrice sur Chicago : la puissance en cette ville ne s’incarne
qu’en un homme, il use et incarne le pouvoir en soi. Servir le pouvoir, c’est
servir l’homme et non l’inverse. Cette dénonciation à peine dissimulée de la
tendance mafieuse du gouvernent municipal de Chicago représente le cœur de la
dénonciation politique voulue par la créatrice Fahrad Safina.
(ci-dessous le discours de fin de Ezra Stone qui révèle toute l’ambiguïté de son rôle)
Le concurrent
Cette élaboration d'un réseau est évidement nécessaire pour satisfaire le besoin de contrôle du personnage tenant le pouvoir mais se révèle aussi un très bon moyen pour lutter contre la conccurence. Souvent le traitement du concurrent politique manque de relief, comme cela peut l'être dans The Good Wife où l'utilité de Glenn Childs en tant qu'opposant à Peter Florrick s'apparente plus à du superfétatoire que du fondamental. Là où la plupart du temps les séries politiques utilisent le personnage du concurrent comme un faire valoir ou une simple épine dans le pied du personnage principal, Boss se distingue. Ben Zajac n'est pas seulement qu'un obstacle sur la route dévorante du pouvoir de Kane, il se révèle à la fois élu et disciple de ce dernier, outsider, jeune requin guidé par le pouvoir tout en se révélant dans les derniers épisodes comme un être dénué d'ambition traîné en réalité par sa femme sur le devant de la scène. La série a su par l'intermédiaire du personnage de Zajac se séparer du manichéisme habituel des série politiques où le concurrent n’apparaît que comme l'être à abattre face à un pouvoir tenu par un homme qui se doit d'être préservé.
(ci-dessous le discours de fin de Ezra Stone qui révèle toute l’ambiguïté de son rôle)
Le concurrent
Cette élaboration d'un réseau est évidement nécessaire pour satisfaire le besoin de contrôle du personnage tenant le pouvoir mais se révèle aussi un très bon moyen pour lutter contre la conccurence. Souvent le traitement du concurrent politique manque de relief, comme cela peut l'être dans The Good Wife où l'utilité de Glenn Childs en tant qu'opposant à Peter Florrick s'apparente plus à du superfétatoire que du fondamental. Là où la plupart du temps les séries politiques utilisent le personnage du concurrent comme un faire valoir ou une simple épine dans le pied du personnage principal, Boss se distingue. Ben Zajac n'est pas seulement qu'un obstacle sur la route dévorante du pouvoir de Kane, il se révèle à la fois élu et disciple de ce dernier, outsider, jeune requin guidé par le pouvoir tout en se révélant dans les derniers épisodes comme un être dénué d'ambition traîné en réalité par sa femme sur le devant de la scène. La série a su par l'intermédiaire du personnage de Zajac se séparer du manichéisme habituel des série politiques où le concurrent n’apparaît que comme l'être à abattre face à un pouvoir tenu par un homme qui se doit d'être préservé.
Le conjoint
Quelques soient les séries sur les coulisses du pouvoir, le personnage principal possède un conjoint : Abbey Bartlet dans The West Wing, Bud Hammond dans Political Animals et bien évidemment, Meredith Kane dans Boss. Le rôle du conjoint, qui s’avère majoritairement une femme excepté dans Commander in Chief, soit permet la pénétration dans la sphère de l’intime du chef, écarté le plus possible du monde politique, soit prend part partiellement ou totalement à la fonction de son époux. Le rôle le plus éculé est celui de la femme sourire, celle qui présente bien en toutes circonstances et qui sait prendre les coups des médias, les frasques de son mari et qui ne perd le masque de la femme parfaite qu’en de rares occasions. L’exemple de The Good Wife est évidemment la référence qui saute en premier lieu à l’esprit, Julianna Margulies incarne parfaitement la femme bafouée qui lutte pour son mariage même si la série sur le long de ses trois saisons a su développer habilement son personnage et la façonner toute en nuance. Meredith Kane dans Boss, la femme du maire, embrasse toutes les facettes de la « femme de ». Sourire de façade, prestation aux diners de charité et politique alors que le mariage n’est plus intime depuis des années et que les deux épousés ne se supportent plus. Toutefois, elle est plus que cela, elle se révèle aussi machiavélique, manipulatrice et assoiffée de pouvoir que son mari. Bien plus qu’une compagne et un visage, elle assure l’aspect culturel, la communication et les mondanités de la mairie de Chicago et ce avec des méthodes similaires mais totalement différentes dans la forme. Ainsi, si Tom Kane est le feu, Meredith serait la glace ; lors du pilot de la série deux scènes résonnent ensemble, celle où Tom Kane hurle sur le chef des ouvriers et celle où sa femme annonce avec froid, calme et puissance au directeur d’une école qu'il doit rectifier ses erreurs : les attentions sont similaires, les méthodes aussi, la manière diffère. En soi le conjoint de Boss représente bien plus que ceux d’autres séries, s’avérant à la fois un personnage à part entière mais surtout la moitié d’un binôme qui sans l’un ou l’autre péricliterait : les Kane assument tous deux les sacrifices qu’ils ont effectués et le feront encore et encore.
La dualité, thème récurrent dans Boss et d’autres séries politiques, se
sublime dans la série car elle est omniprésente et plurielle : le
personnage de Kane se trouve confronté à plusieurs figures fortes qui tout en s’opposant
à lui, le complètent et renforcent encore plus sa puissance et sa fureur.
Le cas Homeland vs Boss
On le sait, on l’a dit, ça nous a fait râler pendant des semaines : il existe une véritable battle de popularité entre Boss et la dernière série star de Showtime: Homeland. Situons : à l’aube de la saison 2011-2012, qui a vu naître ce mythique blog, deux séries d’ordre politique étaient annoncées, Boss et Homeland. La première laissait à première vue tous les chats du coin complètement de marbre : diffusée sur Starz, dépourvue du moindre teaser et affublée d’une affiche peu convaincante, Boss ne brillait guère. La seconde, en revanche, était plus parlante : centrée autour d’un soldat revenu traumatisé de la guerre –thème cher à mon cœur fut un temps– et comptant Claire Danes, mon héros, au casting, Homeland était carrément sexy. Trois épisodes plus tard, pourtant, la dynamique s’était inversée et nous n’avons pas tardé à nous dresser contre l’ensemble de la critique pour affirmer que Homeland ne cassait pas trois pattes à une tortue mais que, par contre, elle nous brisait les nouilles. Maintenant que vous savez un peu mieux où on se pose, voici trois points de comparaison fondamentaux qui, je l’espère, vous feront pencher du bon côté de la force.
1) Terrorisme versus Mafia
Acte I : Homeland et Boss diffèrent notamment par leurs thématiques centrales. L’objet de la première est tout imprégné de psychose post attentats du 11 septembre, puisque Nicholas Brody, protagoniste, a été séquestré par des talibans pendant plusieurs années avant d’être découvert par l’armée américaine et ramené au pays. La saison a pour pivot la question de l’attachement à la nation et celle des méthodes de guerre : la bombe en guise de pendentif, in or out ? Blague à part, ces thèmes-là sont très accrocheurs et ont rapidement su fédérer l’audience par leur côté a priori plutôt neuf. En revanche, Boss s’intéresse à un objet éculé : les tractations et déviances d’une politique corrompue, les rapports entre le pouvoir légitime et la mafia. Ainsi, tandis que l’on pouvait s’attendre à un traitement sérieux et efficace de la question terroriste dans Homeland, on s’est retrouvé comme un canard face à une analyse foutrement manichéenne et donc trop légère du sujet ; à l’inverse, Boss a su nous séduire, que dis-je, nous envoûter en apportant un regard intelligent et moderne sur tout ce qui a trait à la manipulation et aux malversations. Entonces, Boss : 1 – Homeland : 0.
2) Nicholas Brody versus Ezra Stone
Acte II : la gestion de l’ambivalence d’un personnage clé de l’intrigue. Voilà, il n’y a pas à tortiller, une bonne série politique s’agrémente de quelques personnages mystérieux, dont la véritable allégeance est sujette à caution. Gentil ou méchant ? Méchant ou gentil ? La question se pose sans détour pour Nicholas Brody : son séjour chez les talibans a-t-il été si forcé que ça ? A-t-il été retourné contre son propre pays ? Surtout, est-il revenu pour faire péter le Pentagone ? Bonne question, bonne question, mais réponse unilatéralement médiocre : quelques malheureux épisodes après le début de la saison, tout suspens s’envole quant aux véritables intentions du héros. Ce qui nous est proposé est, en termes d’honnêteté psychologique, tout bonnement inadmissible car bien trop simple : Homeland tombe là encore dans un manichéisme digne de Princesse Sarah. Chez Boss, au contraire, on nous propose Ezra Stone, le second de Tom Kane : est-il réellement fidèle ? Cautionne-t-il réellement les agissements discutables de son mentor ? La réponse est ici évidente, le retournement final attendu, mais brillamment exécuté. Non vraiment, Boss : 2 – Homeland : 0.
3) Schizophrénie versus Lewy
Acte III : la crédibilité du protagoniste. Dans Homeland, Claire Danes joue Carrie Mathison, une jeune agent de la CIA atteinte bipolarité. Maladie sexy s’il en est, qui nous avait livré le formidable Billy Chenowith de Six Feet Under pour ne nommer que lui, la bipolarité peut permettre des merveilles scénaristiques. Elle peut façonner un personnage effrayant, instable, imprévisible, mais si vous avez lu ce qui précède, vous savez déjà que Carrie Mathison fait une bien piètre bipolaire. Je ne remets pas en cause les compétences de l’actrice, récompensée à juste titre pour son excellent travail, mais on lui a demandé de jouer une psychotique tristement évidente. Tout ce que fait Carrie Mathison est calculé en fonction du théorème « une personne cinglée agira toujours envers le bon sens », ce qui nous permet d’anticiper le moindre mouvement de cette pauvre Carrie. De plus, sa maladie revient très souvent sur le tapis de façon déplaisante, puisque les scénaristes l’utilisent comme catalyseur à tout va : « ah, le pot aux roses va être découvert ? mince alors, faisons faire une crise à Carrie »…De l'autre côté, Tom Kane est malade lui aussi : atteint de la maladie de Lewy, qui induit une très rapide dégénérescence cérébrale, il est tout aussi instable qu’un être bipolaire. A la différence toutefois du personnage de Claire Danes, qui utilise bien souvent son désordre psychique comme une baguette magique pour comprendre des choses, Tom Kane est l’esclave de son affliction : il perd ses mots, son calme, maîtrise moins son corps…Il peut basculer à tout moment et révéler son incapacité à la face du monde, perdant ainsi toute crédibilité et tout pouvoir : sa dégénérescence n’est pas un couteau suisse mais une épée de Damoclès.
Pour conclure cette étude de cas, je me permettrai de mentionner les scènes finales de ces deux séries : au ridicule d’un rebondissement digne de Sunset Beach dont nous accable Showtime répond une envolée poétique saisissante dans Boss, preuve s’il en est que la comparaison ne tient pas. Remballez vos goûts de hipsters, parce que Boss : 3 et Homeland : 0.
Cet article a mérité sa fin : il nous aura à tout le moins permis de vous dire à quel point Boss nous a convaincu. La saison deux, qui débute ce soir, n’a pas intérêt à nous faire mentir…
1) Terrorisme versus Mafia
Acte I : Homeland et Boss diffèrent notamment par leurs thématiques centrales. L’objet de la première est tout imprégné de psychose post attentats du 11 septembre, puisque Nicholas Brody, protagoniste, a été séquestré par des talibans pendant plusieurs années avant d’être découvert par l’armée américaine et ramené au pays. La saison a pour pivot la question de l’attachement à la nation et celle des méthodes de guerre : la bombe en guise de pendentif, in or out ? Blague à part, ces thèmes-là sont très accrocheurs et ont rapidement su fédérer l’audience par leur côté a priori plutôt neuf. En revanche, Boss s’intéresse à un objet éculé : les tractations et déviances d’une politique corrompue, les rapports entre le pouvoir légitime et la mafia. Ainsi, tandis que l’on pouvait s’attendre à un traitement sérieux et efficace de la question terroriste dans Homeland, on s’est retrouvé comme un canard face à une analyse foutrement manichéenne et donc trop légère du sujet ; à l’inverse, Boss a su nous séduire, que dis-je, nous envoûter en apportant un regard intelligent et moderne sur tout ce qui a trait à la manipulation et aux malversations. Entonces, Boss : 1 – Homeland : 0.
2) Nicholas Brody versus Ezra Stone
Acte II : la gestion de l’ambivalence d’un personnage clé de l’intrigue. Voilà, il n’y a pas à tortiller, une bonne série politique s’agrémente de quelques personnages mystérieux, dont la véritable allégeance est sujette à caution. Gentil ou méchant ? Méchant ou gentil ? La question se pose sans détour pour Nicholas Brody : son séjour chez les talibans a-t-il été si forcé que ça ? A-t-il été retourné contre son propre pays ? Surtout, est-il revenu pour faire péter le Pentagone ? Bonne question, bonne question, mais réponse unilatéralement médiocre : quelques malheureux épisodes après le début de la saison, tout suspens s’envole quant aux véritables intentions du héros. Ce qui nous est proposé est, en termes d’honnêteté psychologique, tout bonnement inadmissible car bien trop simple : Homeland tombe là encore dans un manichéisme digne de Princesse Sarah. Chez Boss, au contraire, on nous propose Ezra Stone, le second de Tom Kane : est-il réellement fidèle ? Cautionne-t-il réellement les agissements discutables de son mentor ? La réponse est ici évidente, le retournement final attendu, mais brillamment exécuté. Non vraiment, Boss : 2 – Homeland : 0.
3) Schizophrénie versus Lewy
Acte III : la crédibilité du protagoniste. Dans Homeland, Claire Danes joue Carrie Mathison, une jeune agent de la CIA atteinte bipolarité. Maladie sexy s’il en est, qui nous avait livré le formidable Billy Chenowith de Six Feet Under pour ne nommer que lui, la bipolarité peut permettre des merveilles scénaristiques. Elle peut façonner un personnage effrayant, instable, imprévisible, mais si vous avez lu ce qui précède, vous savez déjà que Carrie Mathison fait une bien piètre bipolaire. Je ne remets pas en cause les compétences de l’actrice, récompensée à juste titre pour son excellent travail, mais on lui a demandé de jouer une psychotique tristement évidente. Tout ce que fait Carrie Mathison est calculé en fonction du théorème « une personne cinglée agira toujours envers le bon sens », ce qui nous permet d’anticiper le moindre mouvement de cette pauvre Carrie. De plus, sa maladie revient très souvent sur le tapis de façon déplaisante, puisque les scénaristes l’utilisent comme catalyseur à tout va : « ah, le pot aux roses va être découvert ? mince alors, faisons faire une crise à Carrie »…De l'autre côté, Tom Kane est malade lui aussi : atteint de la maladie de Lewy, qui induit une très rapide dégénérescence cérébrale, il est tout aussi instable qu’un être bipolaire. A la différence toutefois du personnage de Claire Danes, qui utilise bien souvent son désordre psychique comme une baguette magique pour comprendre des choses, Tom Kane est l’esclave de son affliction : il perd ses mots, son calme, maîtrise moins son corps…Il peut basculer à tout moment et révéler son incapacité à la face du monde, perdant ainsi toute crédibilité et tout pouvoir : sa dégénérescence n’est pas un couteau suisse mais une épée de Damoclès.
Pour conclure cette étude de cas, je me permettrai de mentionner les scènes finales de ces deux séries : au ridicule d’un rebondissement digne de Sunset Beach dont nous accable Showtime répond une envolée poétique saisissante dans Boss, preuve s’il en est que la comparaison ne tient pas. Remballez vos goûts de hipsters, parce que Boss : 3 et Homeland : 0.
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W., ambiance rombière |
N., un brin mégalo |
Que dire de cet article ?
RépondreSupprimerTout d'abord, ça fait plaisir un petit article d'analyses, ça faisait longtemps (surtout quand il est bien écrit)
Ensuite, merci de ne pas spoiler l'intégralité des deux séries même si je ne pense pas les regarder (on sait jamais).
Et pour finir, une petite question à la con : au final qu'est-ce qui a tant plus dans Homeland ?
Merci pour ce commentaire, cher yucca. Rapport à ta question, je dirais que Homeland doit une grande part de son succès à son casting : j'ai parlé de Claire Danes, mais le héros est joué par Damian Lewis, inoubliable pour ceux qui ont vu Band of Brothers, et il y a d'autres acteurs remarquables. Tout le monde joue bien, il y a de l'action, du cul et des rebondissements à la pelle, ce qui n'est déjà pas si mal dans un monde qui a vu naître Whitney ou Charlie's Angels! Homeland est loin d'être la pire série de l'année, mais c'est une véritable déception pour les vieux sectaires que nous sommes. Kissou
RépondreSupprimerMagnifique article.
RépondreSupprimerJ'ai moi-même pris une grosse claque en voyant Boss, tant la série est surprenante. Et pourtant comme vous, je n'étais pas emballée par le pitch au départ et j'avais trouvé le pilote longuet et larmoyant. D'ailleurs, vous auriez pu compléter votre article par un petit mot sur le casting, car il est exceptionnel lui-aussi.
Concernant Homeland, je suis plus ou moins d'accord avec l'analyse. Mais pour leur défense, le sujet était casse-gueule depuis le départ. Un soldat (héro) qui se retourne contre son pays n'est pas un sujet facile à aborder surtout dans l'Amérique post-9-11. Mais ils s'en sont plutôt bien sortis, je trouve. Même si la série est bourrée de défauts, la globalité était plutôt réussie et, comme l'avez si bien dit, son casting est de qualité.
Pour Newsroom, le principal défaut c'est le développement de la vie des protagonistes qui est ennuyeuse au possible, voire ridicule, même si on comprend très vite que ça va avoir un impact sur leur carrière et l'avenir de l'émission. Si les sujets politiques abordés semblent "faciles", le fait que le présentateur soit de droite modérée et non au gauchiste, me plait beaucoup car il est doit faire face à ses propres contradictions. De plus, soyons honnêtes, ça fait du bien de voir la Tea Party s'en prendre plein la face à travers une fiction qui n'hésite pas d'ailleurs à mentionner la concurrence conservatrice réelle (Fox, Glenn Beck, etc), mais ce n'est que mon opinion. La série est loin d'être parfaite c'est vrai mais la trame de fonds qui dénonce la liberté d'expression vs. les sociétés propriétaires des chaînes est intéressante et je vais continuer à regarder pour ça (si les amourettes de l'équipe ne me tuent pas d'ici la fin de la saison).
Bref... Encore bravo pour votre article, toujours beaucoup de plaisir à vous lire.
Pour Homeland on attend la saison 2 qui devrait se concentrer sur la campagne de Brody en espérant qu'elle soit bien gérée, mais le trailer de la saison (http://tinyurl.com/tralhom2)ne présage rien de bon (non, je ne dis pas ça pour le choix musical à la fois ridicule et subtile dans son message, s'pas mon genre). Homeland s'est perdu en chemin, notamment lorsque les scénaristes ont décidé de s'éloigner du traitement du retour du soldat. Des le quatrième épisode de la série, on se retrouve avec un héros qui a subi un brain washing de 8 ans qui ne fait pas le poids face au patriotisme qui coule en chacune des veines des américains, c'est simpliste. Là où il pourrait y avoir une piste de scénario intéressante pour la saison 2, c'est si Brody s'en tenait sagemment à sa campagne, sans faire d'erreurs, ou de meurtres ou d'action incensées dictées par le besoin du spectaculaire, afin de manipuler le pouvoir par le haut, du coup on aurait une approche, efficace, subtile et couillue. Malheureusement, le trailer ne semble pas indiquer cette prise de décision, de nouveau la série risque de sombrer dans le grandiloquent, la folie exagérée de Claire Daines et les twists taillé à la hache (comme celui de la non explosion de veste ou celui des dernières paroles de Carrie). Bref, vu comme on est remonté à propos de cette série par ici, Homeland peut au mieux nous surprendre et difficilement nous décevoir plus.
RépondreSupprimerEn ce qui concerne The newsroom je suis d'accord avec toi sur l'aspect sexy de l’ambiguïté politique du personnage de Will, toutefois c'est un peu facile, ça crie le :"regardez j'ai mis une nuance juste à cet endroit là, j'écris bien, hein ?" de Sorkin. Oui, ça fait du bien que les Tea Party s'en prennent plein la gueule, d'ailleurs c'est le seul épisode convenable de la saison. Quoiqu'il en soit, c'est mauvais, je dirais même plus, mauvais, mauvais, mauvais.
Nous n'avons ni évoqué le casting, ni la réalisation de Boss car le sujet de l'article est l'objet politique dont la série n'est que l'exemple fil rouge du papier ; du coup, on a pas réussi à s'attarder sur la réalisation glacée et hypnotique instaurée par Gus Van Sant et suivie avec talent par ses relèves, ni sur le talent incomparable de Kelsey Grammer, Connie Nielsen et Martin Grimmer entre autres (rappelons qu'aucun d'entre eux ne sont nommés aux Emmys cette année alors que l'ensemble du cast d'Homeland oui, et ce malgré le jeu exagéré de Danes ou Lewis)
J'en profite pour ajouter que la saison 2 de Boss a enfin débuté et qu'elle ne nous a en rien déçu, bien au contraire, surtout le second épisode qui est pour moi le meilleure de la série.
Enfin, encore merci à tous les gens qui nous suivent et commentent et particulièrement à toi Maldo lectrice et critique assidue et pertinente.